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Et tu oses parler de solitude

Photo de couverture © DR

Texte Élie Guillou – préface Yvon Le Men – éditions La Passe du vent.

Elles et ils s’appellent Marguerite, Pascal, Jacques, Fatima, Émilie, Aymane, Karim, Roxane, Madame Chantal, Mbiwi. Élie Guillou les rencontre, ainsi que beaucoup d’autres, au cours de ses errances dans le quartier de Maurepas, situé au nord de la ville de Rennes où il est en résidence d’auteur pendant quelques mois, en 2017. Pour et avec chacun il pose un geste d’écriture et sur chacun un regard, scrute, apprivoise, réagit et questionne. Il rapporte une cinquantaine de coups de crayon, qui forment le tableau. « Et tu oses parler de solitude » son premier ouvrage, petits bouts d’histoires de vie sans paillettes, est d’une grande intensité.

Écrivain, conteur et chanteur, l’auteur a le goût du voyage et de l’écriture. Né à Rennes c’est dans la chanson qu’il débute un parcours artistique avec la parution de deux albums liés à son expérience personnelle, Paris-Brest et Chanteur public. Entre 2012 et 2016, il se rend en Irak, Turquie et Syrie à diverses reprises et s’intéresse au peuple Kurde. Il en tire un récit, métaphorique et poétique, « Sur mes yeux », qu’il conte sur scène (cf. notre article du 21 janvier 2018).

Maurepas est aussi exotique que le Moyen-Orient. Ici, comme là-bas, il fait des rencontres. De cité d’urgence dans les années 50, zone à urbaniser en priorité en 60/70, promesses de la politique de la ville dans les années 80, de ZUP à ZAC- zones d’aménagement concerté, quartier sensible aujourd’hui, il rapporte ce que « ceux qui travaillent et n’ont jamais fait naufrage… ne peuvent deviner. » Dans la hiérarchie des valeurs sociales on est à la lisière de la partition, de l’indicible, de l’effacement, de la honte.

De l’impasse de la Marbaudais au boulevard Emmanuel Mounier, du parking du Gast à l’Allée de Maurepas, de l’église Saint-Jean-Marie-de-Vianney au centre commercial du Gast, du Pôle associatif à l’Étal convivial, de la Gare de Rennes au local Saint-Exupéry, de la mairie de quartier au parc des Gayeulles, de la maison de retraite du Gast à la Tour Europe, du café Ty-Cœur au gymnase Robert Launay, du marché du Gast au cimetière de l’Est, d’observation en rendez-vous la topographie des lieux guide les rencontres. Elie Guillou en rapporte des impressions au soleil levant, des interrogations, il donne, par son langage d’images, beaucoup de petites touches dans une vaste déclinaison de gris : solitude, chômage, abandon, désertion, perte et perdition, tous les reliefs y sont. Grand-peur et misères de la vie… Il se remet en question, posant la question du sens de sa démarche.

Rudes et sans concessions les récits s’entrecoupent parfois de didascalies quand l’auteur se pose, énonce ses doutes, tente de se reconstituer, hanté par les récits ou les silences de la journée. Jacky : « Je te dirai rien, désolé. Ma misère n’est pas à vendre. » Loïc : « J’ai pas le temps de vous parler, voyez mon assistante sociale » ou encore Mireille : « Et pourquoi votre regard vaudrait-il plus que le nôtre ? » Il est question de survie et de désespoir, du vivre côte à côte non pas du vivre ensemble, des voisins, des dealers, de la prière du vendredi, du chômeur « face à l’infini du temps » et de ceux qui tentent de l’épauler, professionnels ou non ; de celui qui disparaît sans bruit ; de Jacques qui, de son cabinet photographique planté au milieu du centre commercial, « quelques mètres carrés entre la laverie automatique et la boucherie, » offrait avec tendresse à ceux qui passaient par là, un café et leur image, preuve tangible qu’ils existaient.

Ce crayonné de Maurepas écrit par Elie Guillou de son encre sympathique « dans cette partie du monde où les parcs ont des noms de mensonge : jardin du petit prince, jardin  arc-en-ciel, jardin du bonheur… » apporte justesse et vibrations, les siennes mêlées à celles des habitants du quartier qui lui ont fait confiance et ont bien voulu partager un moment avec lui, avec nous.

Brigitte Rémer, le 20 avril 2020

 Et tu oses parler de solitude d’Élie Guillou – préface Yvon Le Men – éditions La Passe du vent, 2019 – 179 pages (15 euros) – site : www.la passeduvent.com